Historique

L'atelier

Pour les curieux et les historiens en quête de documents officiels.

Créé en 2006, l'association Croc en jambe a, pour son dixième anniversaire, réalisé une grande exposition relatant toute son histoire. Dix ans de dessins, de road-trip, de rires, de larmes... Pour l'occasion, Simon Mitteault et Caps ont donc dessiné et rédigés l'histoire complète de l'atelier et de ses auteurs, du moins jusqu'en 2016.

 

Bonne lecture.

 

Retour sur les aventures artistiques de jeunes passionnés de bandes dessinées devenus éditeurs indépendants.

 

Période pré-Croc en Jambe :

En des temps très reculés, avant la première impression des Globules, avant même le premier coup de pinceau de l’Histoire de la Princesse, ceux qui allaient un jour fonder les éditions Croc en Jambe faisaient leurs premiers pas dans le monde.

Mus par une irrésistible envie de dessiner dans des livres ou de les décortiquer pour voir comment ils étaient faits, la passion créatrice battait dans leurs veines dès leur naissance.

 

C’est Johann (J. Guyot), qui, le premier, eut l’idée de se lancer dans l’édition. Après quelques essais en solo (Vendredi 13, Gags à Mourir de Rire, Monsieur Boxeur...), il partagea cette frénésie créatrice avec Rémi (Caps), son vieux camarade d’école primaire.

C’est à l’âge de 15 ans qu’ils sortirent leur premier fanzine : Coup de Crayon, imprimé à la sauvage sur la photocopieuse du papa. 4 numéros + un recueil de strips (Torpille), seront pour eux l’occasion de vivre leurs premières expériences de festivals.

 

Arrivés au lycée, le départ de Johann pour l’institut St Luc, une école de dessin à Tournai, en Belgique, ne les empêchera pas de continuer leur collaboration.
Leur série La Rédac sera alors publiée (à titre gracieux) pendant toute une année dans le journal “la Dépêche du Bassin”.
De son côté, Simon se fera régulièrement recaler aux concours BD du journal de Spirou, se rattrapera en se faisant publier dans “Racine Canard”, le trimestriel de son collège et fera une brève tentative de carrière dans le rap...

C’est à l’Académie Royale des Beaux Arts de Tournai que Simon et Johann allaient faire connaissance.
Les couleurs chatoyantes de l’un trouvant écho dans le trait incisif de l’autre, l’idée d’une collaboration entre eux germa alors très vite.

Cela prit forme dans un ouvrage tiré à 300 000 exemplaires : les Aventures du professeur Leucémix (bande dessinée pédagogique sur la leucémie). Commandé par l’association Laurette Fugain, cet acte bénévole fut alors édité par la toute jeune maison d’édition “L’Édune”.
Leur route se croisera de nouveau 10 ans plus tard, en mars 2016, mais c’est une autre histoire... (Voir Henri le Radis).

 

Eté 2006, sur le Bassin d’Arcachon.

Nos deux jeunes artistes passent leurs vacances à vendanger dans le bordelais. L’occasion parfaite pour Johann de présenter Simon à son vieux pote Rémi.

Le déclic fut immédiat : les 3 réunis, leur collaboration est évidente. Les idées fusent, l’intention de se réunir en atelier est tout de suite évoquée... Croc en Jambe est né !

 

L'âge de la reliure :

Au début, le terme “auto-édition” ne fait pas encore partie du vocabulaire de nos jeunes artistes : leurs BD, ils les proposent à de “vrais” éditeurs et espèrent, dans leurs rêves les plus fous, décrocher LE contrat qui leur permettra de rentrer dans le cercle tant convoité des auteurs publiés.

C’est donc une fois à Toulouse, fin 2007, dans l’idée de démarcher plus efficacement, qu’ils fabriquent un livre : L’Histoire de la Princesse.
Imprimé sur une imprimante de bureau bon marché, coupé aux ciseaux à bouts ronds et assemblé à la colle à bois, ils sont loin d’imaginer que ce bébé un peu mal formé sera l’aîné de toute une collection...

Cet ouvrage mythique en main, leur avenir basculera lorsqu’ils pousseront la porte de la librairie “Album”. Le type derrière le comptoir, un certain Claude, prononcera alors cette phrase désormais célèbre :

“Vous cherchez un éditeur ? Mais... vous êtes cons : il est déjà édité, vot’livre ! Pourquoi vous le vendez pas vous-même ?”

C’est l’euphorie.

2008, ils créent une asso, impriment leurs livres en pièces détachées, perfectionnent leur technique de reliure et sortent deux autres projets des cartons : Les Globules et Quelle Époque.

Ces trois titres en poche, c’est parti pour la chasse aux festivals BD.

 

Ils sont prêts à tout pour obtenir un bout de table et leur imagination est mise à rude épreuve pour amadouer les organisateurs frileux.
Finalement, ils se font une place grâce à un petit détail : la reliure à la main.
En effet, les responsables de festivals trouvant cela fort cocasse, ils font venir nos auteurs non pas pour le contenu de leurs ouvrages, mais pour le contenant...

- et vous pourriez faire des démonstrations de reliure sur votre stand ?
- ha, heu, bah oui, on peut faire ça, oui...
- ok, parfait ! À la semaine prochaine alors !

Les mois suivants, grisés par leurs succès, les Croc en Jambe sortent BD, Galères et Papillons et Hubert Pichon (Jean-Pierre Baguette), suivi de près par deux autres opus : Fausse Note (deux fois adapté en spectacle) et Impulsion (Geoffrey Belœil). Les deux nouveaux, anciens camarades de Belgique, porteront la casquette “Croc en Jambe” pendant quelques années avant de retourner vers leurs carrières personnelles.

C’est donc avec 7 livres, en janvier 2009, que les Croc en Jambe font leur premier festival international de la bande dessinée d’Angoulême “de l’autre côté du stand”.

 

Puis les festivals s’enchaînent.

Du Nord-Pas-de-Calais à la Corse en passant par la Bretagne, les Pyrénées ou Paris, nos enlumineurs pantouflards deviennent baroudeurs indomptables. Les flashs des journalistes ne leur font plus peur, ils ne bafouillent presque plus devant les caméras et ils collectionnent les coquilles des articles à leur gloire.

L’année se terminera avec l’arrivée de deux nouveaux copains : Antonin et Léonidas Herrera qui enrichiront la collection de Tout est Bien qui Finit Bien et Pigeon Vole.

 

2010 est la dernière année de cette ivresse productive.

C’est avec 14 ouvrages fraîchement reliés qu’ils retournent à l’assaut du festival d’Angoulême. Pour l’occasion, BD, Vinyles et Headbanging (J. Guyot), Nana et Julot (Simon Mitteault), Grat Grat (Jean-Pierre Baguette), Les Aventures de Roger Pixel (Antonin) et Le Champ d’Honneur (Simon Mitteault & Jean-Pierre Baguette) se font une place sur le stand.

Les ventes explosent.

Précisons quand même un détail :
Depuis le début, les auteurs ne gagnent pas un centime sur les ventes. Ils relient eux-mêmes leurs livres afin d’en réduire le coût de production, le but étant de faire vivre leurs histoires plutôt qu’eux-mêmes...

“Nous, on veut être auteurs, pas éditeurs !”

En cercle fermé, les fonds dégagés par les ventes financent l’impression des livres suivants. Et depuis 10 ans, aussi incroyable que cela puisse paraître, ça fonctionne !

Nous avons donc une équipe d’éditeurs bénévoles qui n’hésitent pas à passer des semaines entières à fabriquer des livres à la chaîne, juste pour le plaisir de leur public.
Mais avec 14 titres produits, ces fameuses séances de reliure commencent à travailler le moral de nos auteurs. Les longues heures fastidieuses passées à la table de coupe, les doigts dans la colle, perdus entre les piles de bouquins, prennent des allures de punition.

La reliure, ça commence à bien faire !

 

Nous arrivons à un tournant.
Les fameuses “animations reliure”, marque de fabrique des Croc en Jambe, commencent donc à faire place à d’autres ateliers improvisés sur le moment, qui, par la suite, seront développés, étoffés, perfectionnés.

Le secteur “interventions” apparaît sur leur site internet. Parce que s’ils ne pensent pas à l’argent en produisant leurs œuvres, les animations proposées dans des écoles, médiathèques ou durant les festivals, elles, sont rémunérées.

“Et ça, c’est chouette !”, pensent-ils.

 

2011. Cette période où la reliure fait loi arrive à son terme. Les marques de cutter vont pouvoir cicatriser, les pinceaux à colle enfin sécher... Mais cet âge farouche, dans un dernier sursaut avant agonie, finit en apothéose : Karakolo (Simon Mitteault, Antonin, Tonio).
Sous l’impulsion d’un curieux bonhomme de la capitale, un certain Antoine Rapin (Tonio) et sous la bannière de l’association EPIK, un voyage en Afrique avait été organisé. Au programme : road trip, concerts, ateliers BD et moustiques.
De retour au pays, ce meneur de foule décide d’en faire un livre. Il est accueilli à bras ouverts au sein de l’équipe, ravie de trouver un type qui ne bafouille pas quand il parle en public.

Cet ouvrage chamboule les habitudes de l’édition. Accompagné d’un CD, ses 80 pages raflent le prix de la presse du festival du carnet de voyage de Clermont-Ferrand.

 

A partir de là, Tonio prend une place cruciale dans l’équipe, ses qualités d’entrepreneur comblant les lacunes de ces dessinateurs introvertis.

 

La révolution industrielle :

L’année débute avec une migration de la maison d’édition.
De "Toulouse la festive", les auteurs ramènent leurs cartons à "Bordeaux la sérieuse" et rejoignent d’autres professionnels au sein de l’atelier “La Laverie”. L’occasion de côtoyer Marion Duclos et Alexis Vitrebert, que l’on retrouvera dans un projet futur.

Ils ne restent pas longtemps dans ce lieu à la salubrité tendancieuse mais pas cher. C’est tout de même entre ces murs humides que voit le jour de leur premier ouvrage sans reliure artisanale : Je Suis un Poltron, par J. Guyot.

2011, c’est aussi la première occasion offerte aux Croc en Jambe de traverser un océan pour promouvoir leurs livres. La ville de la Trinité, en Martinique organise un festival et contacte l’équipe. 

“nos budgets sont limités, mais on peut faire venir un auteur sur quatre jours”.

Ils débarquent à six et restent trois semaines.

Pour compenser les frais, des ateliers sont prévus tout au long du festival. C’est donc dans ce cadre tropical, avec la volonté de justifier leur présence, qu’ils imaginent ce qui deviendra leur animation phare : le battle de dessins.
Le succès dépasse toutes leurs attentes. A tel point que leur prestation leur vaudra de se faire inviter sur les éditions suivantes...

 

A leur retour dans le froid bordelais, hors de question de passer l’hiver dans la moisissure.
Ils plient bagages et emménagent dans un lieu avec de vrais radiateurs et la pluie qui reste à l’extérieur.
Moitié appartement, moitié atelier, “L’Appartelier” sera aussi le nid douillet de Caps, qui cherche un moyen de travailler sans avoir à sortir de son lit.

 

2012, aucune nouveauté, l’occasion idéale pour rééditer certains titres.
Les versions, sans reliure rébarbative, de Karakolo (troisième et dernière édition à ce jour), Tout est Bien qui Finit Bien et BD, Vinyles et Headbanging pointent leur nez sur le stand vêtus de leur nouveaux atours.

Grande première dans l’histoire Croc en Jambe : Caps sort sa plume et écrit sa première histoire. Monsieur Martin est mis en images au cours de l’année par Fabien Chesnot.
C’est en janvier 2013, à l’occasion du festival d’Angoulême, que ce conte farfelu rejoint ses grands frères sur le stand.

A cette époque, Tonio, grisé par le succès de Karakolo, lance alors un projet d’envergure.
Le format “carnet de voyage” l’inspire et en parisien accompli, il décide de faire partager l’exotisme du métro de la capitale. Il ressort l’étendard de l’asso EPIK et constitue une équipe de choc : Simon Mitteault, J. Guyot, Caps, Antonin, Marion Duclos, Alexis Vitrebert, Mathilde Ruau et Baudoin Desarbres.

Tonio voit les choses en grand. Marre des ridicules petits formats de 30 pages tirés à 100 exemplaires. Lui veut un livre à la hauteur de ses ambitions : SOUS SOL avec ses 9 auteurs et ses 10 musiciens, doit faire 150 pages, avoir une couverture rigide, un CD... et être imprimé à 1000 exemplaires !

“qu.. non mais t’es malade ! on a pas une thune, on pourra jamais faire imprimer ça !”

Notre audacieux révolutionnaire ne se laisse pas démonter et trouve une solution miracle : le “crowdfunding“ (financement participatif). Il lance l’appel de fonds sur le site “Kisskissbankbank” et en quelques mois, les choses se concrétisent.

 

Cette fin d’année sera, du coup, très riche en émotions.
A peine rentrés de leur deuxième voyage en Martinique, les Croc en Jambe quittent l’Appartelier.
Caps, que le devoir appelle, s’exile à Luz St Sauveur, laissant Croc en Jambe “Sans Atelier Fixe”. SOUS SOL est terminé dans les montagnes, loin des affres de la ville, mais avec piscine et sauna.

C’est en janvier 2014, avec ses 117 mécènes et après un accouchement difficile, que SOUS SOL pousse son premier cri. L’ouvrage est alors présenté en avant première au Pavillon Jeunes Talents du festival d’Angoulême.

 

S’ensuit une période particulière, sous le signe de l’individualité.
Dans ses montagnes, Caps joue les directeurs de résidence de tourisme et Tonio ouvre un bar sur Paris : le More, partenaire idéal pour accueillir divers évènements Croc en Jambe (vernissages, fresques-live, peintures murales...).
En effectif réduit, Simon et Johann trouvent tout de même refuge au sein de l’Athénée Libertaire (espace associatif créé par des militants anarchistes), ce lieu atypique étant idéal pour loger leur atelier.

Les bordelais laissés sans surveillance en profitent alors pour faire des infidélités à Croc en Jambe :

- Simon sort Poil au Zoreil, un guide touristique sur La Réunion, aux éditions Des Bulles Dans l’Océan.

- Antonin, après la sortie de Manolis, installe définitivement ses valises chez Cambourakis pour préparer Ernest, qui sortira en 2015.

- Johann, lui, se fait régulièrement débaucher par Sofie von Kelen pour se concentrer sur un obscur projet aux relents de bière et de complaintes infernales : WELCOME TO HELL(fest). Cherchant à s’émanciper de l’étiquette “Croc en Jambe”, il crée pour l’occasion une nouvelle structure : les Éditions du Blouson Noir.

 

2015, Luz St Sauveur.
Une entreprise gestionnaire de résidences de vacances coule mystérieusement...

- dis Rémi, tu faisais pas de la BD normalement ?
- ah, si, pourquoi ?
- qu’est ce que tu fous là alors ?
- bah...

Les Pyrénées se portant mieux sans lui, Caps rentre sur Bordeaux pour reprendre du service. WELCOME TO HELL(fest) sort des presses au mois de juin. Avec ses 1300 unités, cette co-production est distribuée par un diffuseur à travers tout le pays.

Pour précision, un “diffuseur”, c’est un type qui achète des livres aux éditeurs pour aller les revendre plus cher aux libraires. Le diffuseur est indispensable, il le sait et ça se voit sur ses factures.
Les Croc en Jambe s’étaient donc toujours passés de ses services. Mais aux éditions du Blouson Noir, les choses se passent différemment...

 

Nous arrivons enfin en 2016.

Le regard porté vers l’avenir, de nouveaux projets plein la tête, les auteurs Croc en Jambe s’arrêtent un instant sur ce qu’ils ont accompli.
Les éprouvantes mais fraternelles séances de reliure, les milliers de kilomètres joyeusement entassés dans une petite voiture, les projets oubliés et ceux devenus légendaires...
Quoi de mieux qu’une exposition pour retracer tout ça ?

 

Ces dix ans ne sont qu’un début, tout le monde le sait.

Mais pour cette bande d’auteurs-éditeurs-animateurs, qui peut dire ce que l’avenir réserve ?...

 

Caps